A regarder le ciel genevois, rien n’a changé: le ballet des avions qui tournent et atterrissent est toujours aussi rapide. Sauf pour ceux qui viennent de Moscou-Sheremetyevo. Entre janvier et septembre 2014, les vols privés sur cette ligne ont diminué de 57% par rapport à la même période en 2013. Entre Moscou-Vnukovo et Zurich, la baisse a été de 13%.
Ces chiffres viennent de WINGX Advance, une entreprise basée à Hambourg et spécialisée dans les statistiques sur l’aviation. Pour son directeur Richard Koe, c’est avant tout « les sanctions à l’encontre de la Russie qui ont donné un coup d’arrêt aux voyages individuels ».
Le 21 mars dernier, suite aux tensions avec l’Ukraine, l’Union européenne décidait de restreindre les visas et de geler les avoirs de plusieurs dignitaires russes. Ce train de mesures a peu à peu été élargi, jusqu’à l’établissement d’une liste noire de 140 personnes et une soixantaine d’entreprises et un embargo économique vis-à-vis de la Russie, instauré fin juillet.
Si le Conseil fédéral n’a pas formellement repris à son compte ces décisions, il a tout de même dicté, dès le mois d’avril, ses propres sanctions, en interdisant notamment les relations d’affaires avec une série d’entreprises et d’individus. Par ailleurs, comme le souligne Antje Baertschi, porte-parole du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la Suisse étant dans l’espace Schengen, elle ne peux pas accueillir les Russes qui se trouvent sur la liste noire émise par Bruxelles.
Du coup, les jets privés sont moins nombreux à Genève. « Nous accusons une baisse d’environ 5% des vols entre la Russie et la Suisse, confirme Laurent Détroyat, directeur commercial de LunaJets, compagnie spécialisée dans la location de jets privés. Mais comme notre croissance globale est de 20%, nous sommes capables d’encaisser le choc ». LunaJets a été la seule entreprise à nous répondre, dans un marché concurrentiel, où la question est sensible.
Ce phénomène n’a rien d’étonnant, pour Thomas Biersteker, professeur de relations internationales à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement, à Genève. « Certaines personnes n’ont tout simplement plus le droit de sortir de Russie, explique-t-il. Mais beaucoup d’autres, qui pourraient techniquement le faire, ne le souhaitent plus, à cause du climat d’incertitude créé par les sanctions internationales ». Un boycott, encouragé par le Kremlin.
Le premier secteur à souffrir de ce désamour temporaire est celui des affaires. Une grande partie des contrats russes dans le secteur du pétrole s’établissent depuis Genève: aujourd’hui, les banques et les négociants attendent quelques mois avant de signer, continue cet expert.
Mais la tendance touche aussi au secteur du tourisme. « Genève est la deuxième destination européenne préférée des Russes qui ont un jet privé, après Nice, relève Magnus Henriksson, chef du développement d’Avinode, une entreprise qui met en relations tous les acteurs du marché. Il est donc logique que les sanctions internationales la touchent particulièrement ».
Que ce soit pour un week-end ou une semaine de congés, les Russes les plus aisés aiment à fréquenter les boutiques de luxe de Genève, marcher sur les quais de Montreux ou apprécier la vue depuis les sommets valaisans. Mais depuis quelques mois, ils sont moins nombreux à venir. Selon Suisse Tourisme, les nuitées des touristes russes entre janvier et août 2014 ont diminué de 6.9% par rapport à la même période l’an dernier. « Si la situation actuelle liée au conflit entre l’Ukraine et la Russie devait perdurer, précise la porte-parole Véronique Kanel, nous nous attendons globalement à une perte de recettes de 9 à 12 millions de francs pour 2014. »
Au lieu des pentes de Verbier ou de Zermatt, cet hiver, les Russes devraient donc privilégier les pistes enneigées de Sotchi. Chez WINGX Advance, Richard Koe note également une augmentation des vols entre Moscou et la Grèce. Les plages des Cyclades, au lieu des rives du Léman.
Article publié dans Le Matin Dimanche